10 novembre 2024

L’actionnariat de la Cameroon Oil Transportation Company (Cotco) a une nouvelle configuration. SHT Overseas Petroleum (SOP), Tchad Petroleum Company (TPC), la République du Tchad et la Société nationale des hydrocarbures (SNH) sont les nouveaux actionnaires, a indiqué l’entreprise lors de la visite de son directeur général, Harouna Bako, le 7 août 2023, à la station de pompage 3 du pipeline Tchad-Cameroun, située à Belabo, dans la région de l’Est du Cameroun. Les parts de chaque actionnaire n’ont pas été précisées.

Néanmoins, dans un communiqué de presse, signé le 1er août 2023, Harouna Bako informe que le « projet de gestion partagée » de l’oléoduc Tchad-Cameroun s’est « récemment matérialisé par le transfert par le Tchad de 20% de parts de la société à la République du Cameroun, portant ainsi son actionnariat à 25% (précisément 25,17%, puisque la SNH, qui porte les actions du Cameroun, détenait déjà 5,17% des parts) ». Ce qui signifie que l’actionnariat de N’Djamena est désormais de 74,83%, SOP et TPC étant à 100% des entreprises publiques tchadiennes.

Pour comprendre cette nouvelle configuration de l’actionnariat, il faut se rappeler que N’Djamena considère que Savannah Energy n’est plus actionnaire de Cotco. En effet, dans un communiqué rendu public le 2 juin 2023, le ministère tchadien des Hydrocarbures affirme que tous les administrateurs de cette entreprise ont été révoqués lors de l’assemblée générale de Cotco tenue à Paris, en France, le 24 mai 2023. Motif : Savannah Energy n’est plus membre du consortium d’entreprise qui exploite le champ pétrolier de Doba au Tchad, en conséquence de la nationalisation des actifs de ExxonMobil dans le pays (réputés acquis par la junior pétro-gazière britannique), intervenue le 31 mars 2023, et de ce fait n’a plus le droit de détenir des actions dans Cotco, selon ses statuts.

Une position à laquelle N’Djamena a réussi à rallier Yaoundé, après une crise diplomatique qui a duré plusieurs mois. Certainement en contrepartie du transfert de 20% des parts de Cotco au Cameroun et de l’octroi du poste de directeur général de l’entreprise, qui gère les 903 km du pipeline Tchad-Cameroun situés en terre camerounaise. Ce qui est mieux que les 10% que le pays aurait obtenus dans le deal (finalement gelé) entre la SNH et Savannah Energy.

Toujours est-il que lors du conseil d’administration tenu le 4 juillet dernier à Douala, à l’initiative du Tchad, le magistrat camerounais Harouna Bako est nommé directeur général, sur proposition du Cameroun. La présidence du conseil d’administration et la direction

générale adjointe échoient respectivement aux Tchadiens Djerassem Le Bemadjiel et Haoua Daoussa. Il est aussi décidé du transfert des actions précédemment détenues par Savannah Energy dans Cotco à Tchad Petroleum Company, désormais propriétaire des actifs d’ExxonMobil au Tchad à la suite de la nationalisation. « À l’issue de cette opération, le Tchad procèdera au transfert à l’État du Cameroun, d’un pourcentage supplémentaire de 20% des actions de la société », précise une autre résolution de cette réunion. Ce qui a été fait si l’on en croit l’extrait du compte titres de Cotco. D’où la géographie actuelle du capital.

Pour Savannah Energy, cette situation est une voie de fait. L’entreprise britannique conteste la nationalisation des actifs de ExxonMobil qui la priverait de ses droits d’actionnaire dans Cotco. Les procédures sont en cours sur le sujet, notamment devant la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris (CCI). Le 12 juillet 2023, la junior pétro-gazière sollicite donc un arbitrage d’urgence de la CCI pour que ses administrateurs soient rétablis, dont Nicolas de Blanpré au poste de président-directeur général. Elle demande aussi que toutes les décisions prises depuis leur révocation soient suspendues, en attendant de statuer sur le fond de son différend avec le Tchad au sujet de la nationalisation des actifs d’ExxonMobil. Savannah Energy sollicite expressément la suspension de l’assemblée générale du 24 mai et du conseil d’administration du 4 juillet, qui a vu la nomination des dirigeants actuels de Cotco et le transfert de ses actions à TPC.

Dans son ordonnance du 28 juillet, l’arbitre d’urgence, Marc Henry, ordonne « la suspension des effets des résolutions adoptées » lors de ces deux réunions, de même que « l’interdiction pour la République du Tchad (…) de se prévaloir à l’égard des tiers ou des parties aux statuts de Cotco » de ces résolutions jusqu’à la résolution du différend au fond. « Par conséquent, le conseil d’administration de Cotco est celui du 24 mai 2023, qui n’a fait l’objet d’aucune mesure de suspension », estime Nicolas de Blanpré dans un message envoyé au personnel de l’entreprise le 3 août 2023. Dans ce message, ce dernier se présente même comme directeur général de Cotco.

Cette conclusion de Savannah Energy est discutable. Car, dans la même décision, Marc Henry refuse de déclarer que « la composition du conseil d’administration de Cotco est celle enregistrée auprès du greffe du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo le 6 juin 2023, jusqu’à ce que le tribunal arbitral constitué sur le fond se prononce sur cette question ». C’est-à-dire qu’il refuse de reconnaitre formellement Nicolas de Blanpré comme administrateur de Cotco. Et pour cause, cela « reviendrait à acter une situation actionnariale qui peut apparaître contestable, et qui ne justifie donc pas, a priori, d’être “sanctuarisée” dans l’attente de la décision au fond », justifie-t-il dans l’ordonnance.

En effet, selon l’arbitre d’urgence, Savannah Energy a finalisé l’acquisition des actifs de ExxonMobil au Tchad en l’absence d’approbation préalable des autorités tchadiennes et des lettres de renonciation au bénéfice du droit de préemption, comme exigé par les conventions liant les parties. Dans ces conditions, ce dernier considère qu’il est permis de « s’interroger sur la validité » de cette acquisition.

Fort de ce qui précède, le Camerounais Harouna Bako est resté à la tête de Cotco. Pour montrer qu’il est bien aux commandes, le magistrat a organisé une visite de travail dans certains sites de l’oléoduc. « Cette visite intervient dans un contexte particulier… Il fallait donc encourager le personnel sur place et leur transmettre un message fort en leur demandant de rester au travail et d’éviter de se laisser distraire par les manipulateurs », avoue-t-il, devant la presse, lors de son passage, le 7 août, à la station de pompage de Belabo, dans la région de l’Est du Cameroun. Le 31 juillet, il s’était déjà rendu à la station de réduction de pression, située à Kribi dans la cité balnéaire du Sud du pays.

Les opérations se poursuivent donc « sereinement » sur le pipeline Tchad-Cameroun, malgré « les communications manipulatrices et malveillantes de Savannah Energy », assure Harouna Bako. Ce dernier a d’autant plus de marge de manœuvre que l’arbitre a également refusé d’accéder à la demande de Savannah Energy d’interdire « à Cotco de procéder à tous paiements de ses comptes ou d’effectuer des mouvements de comptes entre ses comptes (…) ». Le magistrat doit néanmoins soigner ses relations avec la SNH. L’entreprise publique qui représente l’État du Cameroun au sein du conseil d’administration de Cotco continue d’avoir une posture ambigüe. Dans le cadre de la procédure d’urgence à la CCI, la SNH a demandé à l’arbitre de constater qu’elle « s’en rapporte à justice ». C’est-à-dire qu’elle n’a pas d’arguments à opposer à Savannah Energy.

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