Au début des années 90, la CBLT connaît un regain d’intérêt des Etats riverains du Lac Tchad ou du bassin conventionnel sur les questions relatives à la sécurité transfrontalières et aux aspects environnementaux.
C’est dans cette optique, il s’est tenu le 8ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CBLT à Abuja, au Nigéria en mars 1994 au cours duquel, ils ont mis en place une force conjointe de sécurité pour lutter contre l’insécurité qui se vit dans le pourtour du lac Tchad, notamment la criminalité transfrontalière, la contrebande, le trafic des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC), les coupeurs de route appelés communément les Zaraguina, etc.
En 1998, le Tchad, le Nigéria et le Niger créent la Force Multinationale Conjointe et la réflexion a été poursuivie jusqu’à la mise en place de la Force Multinationale Mixte (FMM).
La région du lac Tchad traverse une crise sans précédent, exacerbée par les violences répétées des groupes extrémistes.
Les terroristes n’ont pas des visés politique, ils se distinguent par des actions médiatiques spectaculaires, et parfois extrêmement violentes, créant ainsi l’actualité, bousculant les agendas des gouvernements. Pour paraphraser le transnationaliste James N. Rosenau, l’Etat n’a plus les mains libres et ne contrôle plus les évènements.
En 2009, avec l’avènement du groupe terroriste Boko Haram, nouveau acteur transnational ou acteur non étatique, les 04 pays fondateurs de la CBLT (Cameroun, Niger, Nigéria et Tchad) ont organisé le 14ème Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CBLT, le 30 avril 2012 à N’Djamena (Tchad) pour réactiver la Force Multinationale Mixte (FMM) afin de faire face aux nouvelles formes des menaces sécuritaires.
Elle est mise en œuvre en août 2015 avec la participation du Bénin et qui intervient dans le cadre de la sécurité collective. Ainsi, ces Etats ont décidé d’abandonner l’approche classique post-westphalienne des problèmes de sécurité et de coordonner la lutte contre le terrorisme en mettant à contribution leurs armées.
Cette coalition a enregistré des succès militaires mais elle est confrontée aussi à des difficultés d’ordre de financement de ces opérations en dépit de l’appui de l’Union Africaine et des partenaires. Cette Task Force ne bénéficie pas d’un mandat robuste de l’ONU, c’est-à-dire n’est pas sous le chapitre 07 des Nations Unies.
Historicité et territorialité de la FMM
Pour envisager une perspective de retrait du Tchad de la FMM, il serait souhaitable d’examiner les étapes suivantes :
Au niveau stratégique
L’organisation d’un Sommet Extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de la CBLT qui est l’organe politique. Au cours du Sommet, il dégagera des grandes décisions pouvant permettre au secrétariat exécutif, Chef de mission de la FMM de prendre des dispositions pratiques pour un éventuel retrait du Tchad ou d’exécuter les réformes voulues.
Au niveau opérationnel
En prélude du sommet des Chefs d’Etat, la tenue d’une réunion des Ministres chargés de la défense nationale et des Chefs d’Etat-Mayor des pays membres serait crucial par rapport aux thématiques sécuritaires qui seront inscrites à l’ordre du jour (retrait du Tchad de la FMM, etc.).
Ils devront revisiter la portée du mécanisme et des instruments juridiques et institutionnels existants afin de mieux les adapter au contexte de l’heure à l’effet de soumettre les documents techniques comme le Concept des Opérations à la conférence des Chefs d’Etat.
Ils prendront ou acterons des décisions pour décider de réajuster et de réadapter la force aux menaces asymétriques ou d’envisager le retrait du contingent tchadien du secteur 2 de la FMM.
Au niveau tactique
Pour faire face aux défis sécuritaires et aux menaces émergentes auxquels les pays contributeurs des troupes (PCT) sont confrontés, il serait souhaitable de revisiter le Concept d’Opération Stratégique pour la FMM (CONOPS) qui est à la fois un outil, un document cadre et une sorte de boussole. Il définit l’organisation de la FMM ainsi qu’il décrit les différentes phases, notamment la planification des opérations, le déploiement des troupes, la conduite des opérations, la stabilisation et le désengagement.
Le CONOPS prévoyait sur le plan organisationnel des différentes zones d’opérations de la FMM, à savoir les 04 secteurs de la FMM :
Le secteur 1, avec poste de commandement à Mora, au Cameroun, composé du contingent de la 4ème Région Militaire interarmées du Cameroun ;
Le secteur 2, dont le commandement est basé à Baga-Sola qui est la 4ème zone militaire du Tchad ;
Le secteur 3, avec poste de commandement à Baga Kawa, au Nigéria ;
Le secteur 4, est basé à Diffa, au Niger.
Les troupes des différents secteurs sont pré positionnées dans leur pays respectifs qui agissent sous l’autorité du commandant de la FMM.
Chaque secteur est composé des armées nationales pour mener des opérations dans une zone géographique bien déterminée relevant de leur ressort territorial et qui sont placés sous le commandement unique du Commandant de la FMM.
Le Tchad est un pays pivot dans la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram à travers ses interventions dans les pays riverains du Lac Tchad, au-delà des frontières nationales. Il est le seul pays de la CBLT qui a un droit de poursuite des opérations militaires dans les pays membres.
Le Tchad abrite le quartier général (QG) de la FMM et le siège de la CBLT.
Un éventuel retrait du Tchad de la FMM serait une erreur stratégique pour les pays contributeurs des troupes et par conséquent une redéfinition des stratégies de lutte contre le terrorisme par la mutualisation des forces des pays membres est plus que jamais nécessaire pour la survie de la FMM.
NB : le possible retrait du Tchad de la FMM n’est pas synonyme du retrait du Tchad de la CBLT. La FMM est un organe polito-stratégique de la CBLT, dédié aux questions sécuritaires.
Les recommandations formulées à l’endroit des pays contributeurs des troupes de la FMM/CBLT
Organiser un sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement afin de discuter sur l’avenir de la FMM ;
Réunir les Ministres en charge de la défense nationale, des Chefs d’Etat-Major des Armées et des experts militaires à l’effet de préparer la conférence des Chefs d’Etat ;
Revisiter le Concept d’Opération Stratégique pour la FMM afin de mettre en parfaite adéquation avec les visions stratégiques des pays membres de la Task ;
Réorganiser les secteurs de la FMM en vue de mettre en place une coordination unifiée des opérations ;
Réactiver les forces spéciales à l’exemple de l’opération Alpha, l’Emergence 4, Lafiya Dole, Lastshold, Gama Aiki1et 2, Amni Fakat, l’opération Safe Corridor, Lake Sanity 2, etc ; dans le but de combler le fossé laissé par les secteurs de la FMM ;
Faciliter la coordination entre les pays contributeurs des troupes (PCT) et d’autres parties concernées par la lutte contre les groupes terroristes ;
Coordonner avec l’Unité Régionale de Fusion des Renseignements (RIFU) pour obtenir des renseignements sur le groupe terroriste Boko Haram ;
Renforcer la coopération et partager les informations entre les Etats membres ;
Mener des opérations conjointes impliquant les forces de 04 pays membres pour désorganiser les lignes d’approvisionnement de Boko Haram ;
Coopérer la cellule de renseignement de la FMM avec les forces de Barkhane de la base de Adji Kossei à l’effet de mettre à contribution le vecteur aérien et les drones ;
Adopter une stratégie efficace pour s’attaquer aux causes profondes de la crise par une approche inclusive ;
Contribuer à la restauration totale de l’autorité de l’Etat dans les zones touchées ou affectées par les actes de terrorisme ;
Assurer la protection des civils conformément au DHI ;
Elaborer des programmes d’ensemble de stabilisation et de de stratégies de reconstruction post conflit par les Etats membres dans les zones affectées.
Au-delà des solutions militaires et socioéconomiques préconisées, il devrait se développer au sein des communautés, un sens commun d’appartenance à la patrie, un sentiment national au sein des populations, une cohésion sociale manifestant le soutien aux institutions et aux forces de défense et de sécurité, ainsi que le rejet catégorique du terrorisme. Pour ce faire, le rôle des médias, des partis politiques, les leaders d’opinion, les opérateurs économiques et les organisations de la société civile est très primordial à ce niveau.
Fait à N’Djamena, le 04 novembre 2024
Brahim EDJI MAHAMAT, Président de l’ONG CPDHS par ailleurs Expert en Stratégie, Défense, Sécurité, gestion et prévention des conflits et des catastrophes